Points clés
1. Le capitalisme évolue de la libre concurrence au monopole.
Cette transformation de la concurrence en monopole est l’un des phénomènes les plus importants — sinon le plus important — de l’économie capitaliste moderne...
Progression naturelle. Le capitalisme, mû par la concurrence, conduit inévitablement à la concentration de la production dans des entreprises de plus en plus grandes. Cette concentration, à un certain stade, engendre naturellement des monopoles. L’ampleur même des géants industriels rend la concurrence difficile et favorise les ententes.
Tournant historique. La fin du XIXe et le début du XXe siècle marquent un point de bascule. Alors que la libre concurrence culminait dans les années 1860-1870, la dépression des années 1870 et la reprise des années 1890 accélèrent la formation de cartels et de syndicats. Au début du XXe siècle, les monopoles deviennent un fondement de la vie économique, transformant profondément le capitalisme.
Au-delà de la théorie. Ce que Marx avait prédit par une analyse théorique — que la libre concurrence conduirait à la concentration puis au monopole — devient une réalité concrète. Malgré les affirmations des économistes bourgeois prétendant réfuter le marxisme, la généralisation des monopoles dans des secteurs comme le fer, l’acier ou la chimie prouve que cette transformation est une loi générale du développement capitaliste.
2. La concentration de la production crée des monopoles géants dominant l’industrie.
Des dizaines de milliers de grandes entreprises sont tout ; des millions de petites ne sont rien.
L’importance de l’échelle. Les statistiques modernes révèlent une concentration extrême du pouvoir de production. En Allemagne, moins de 1 % des entreprises consomment plus des trois quarts de l’énergie vapeur et électrique. Aux États-Unis, environ 1 % des entreprises réalisent près de la moitié de la production industrielle totale.
L’émergence des géants. Cette concentration aboutit à une poignée d’entreprises géantes qui dominent des branches entières de l’industrie. Ces entités, souvent issues de la combinaison de différentes étapes de production, tirent d’importants avantages :
- Des profits plus stables en lissant les fluctuations commerciales
- L’élimination des intermédiaires commerciaux
- La capacité à mettre en œuvre des améliorations techniques pour des superprofits
- Une position renforcée lors des dépressions économiques
Soumission obligatoire. Les monopoles ne se contentent pas de concurrencer ; ils écrasent activement leurs rivaux plus petits. Ils utilisent des méthodes telles que l’arrêt des approvisionnements en matières premières, la baisse des prix sous le coût de revient (« dumping »), la coupure des crédits et les boycotts. Ce n’est pas une concurrence entre petits et grands, mais un étouffement des résistants par les monopoles.
3. Les banques fusionnent avec l’industrie, formant un capital financier puissant.
Ce capital bancaire, c’est-à-dire le capital sous forme monétaire, qui se transforme ainsi effectivement en capital industriel, je l’appelle « capital financier ».
Au-delà des intermédiaires. Les banques, initialement simples intermédiaires de paiement, évoluent avec la concentration capitaliste. En grandissant et en se consolidant, elles commandent d’immenses capitaux monétaires provenant de diverses sources. Elles dépassent ainsi la simple transaction pour investir activement et contrôler les entreprises industrielles.
Fusion en cours. La fusion du capital bancaire et industriel caractérise cette nouvelle étape. Les banques acquièrent des participations dans des sociétés industrielles, leurs directeurs siègent dans les conseils d’administration des firmes industrielles, et inversement. Cette « union personnelle » renforce le lien, créant une structure unique et imbriquée de pouvoir financier et industriel.
Mécanisme de contrôle. Cette fusion confère aux banques un pouvoir immense sur l’industrie. Par le crédit, les participations et les sièges au conseil, elles obtiennent une connaissance approfondie de la situation financière des entreprises, leur permettant de contrôler, d’influencer et de décider du sort des affaires. Cela transforme des capitalistes dispersés en une entité capitaliste collective unique.
4. Le capital financier établit une oligarchie financière dirigeante.
…les trois cents hommes qui gouvernent aujourd’hui économiquement l’Allemagne seront peu à peu réduits à cinquante, vingt-cinq ou encore moins.
Règne d’une minorité. La concentration du capital financier dans une poignée de grandes banques et trusts engendre une oligarchie financière. Ce petit groupe de magnats détient un pouvoir économique immense, contrôlant des milliards de capitaux et dominant d’immenses sphères de production et de commerce.
Pouvoir du système de holdings. Le « système de holdings » est un outil clé de cette oligarchie. En possédant une participation majoritaire (souvent inférieure à 50 %) dans une « société mère », qui contrôle à son tour des « filiales », et ainsi de suite, une somme relativement modeste de capital au sommet peut contrôler d’énormes capitaux répartis sur plusieurs niveaux.
Au-delà de l’économie. L’influence de l’oligarchie financière dépasse le simple domaine économique. Elle contrôle :
- Les bourses, qui perdent leur rôle de régulateurs automatiques
- Les fonctionnaires, souvent attirés vers des postes lucratifs dans banques et trusts
- La vie publique en général, quel que soit le système politique formel
Ce pouvoir se caractérise par la manipulation, la spéculation et la recherche de profits énormes à travers des opérations financières telles que l’émission de titres et la restructuration d’entreprises en difficulté.
5. L’exportation du capital devient la caractéristique déterminante de l’impérialisme.
Tant que le capitalisme reste ce qu’il est, le capital excédentaire ne sera pas utilisé pour élever le niveau de vie des masses dans un pays donné… mais pour accroître les profits en exportant le capital à l’étranger vers les pays arriérés.
Changement d’orientation. Alors que l’ancien capitalisme se caractérisait par l’exportation de marchandises, la nouvelle phase, dominée par les monopoles, se définit par l’exportation du capital. Les pays capitalistes avancés accumulent d’énormes capitaux « superflus » qui ne trouvent pas d’opportunités d’investissement suffisamment rentables sur leur territoire, en raison notamment d’une agriculture en retard et de masses appauvries.
Recherche de profits plus élevés. Ce capital excédentaire se dirige vers des pays arriérés où :
- Le capital est rare, générant des profits élevés
- Les terres et matières premières sont bon marché
- Les salaires sont bas
Cette exportation est facilitée par l’intégration de ces pays au système capitaliste mondial, souvent via le développement d’infrastructures comme les chemins de fer.
Assurer des avantages. L’exportation du capital n’est pas qu’une opération économique ; c’est un instrument de politique impérialiste. Les nations créancières utilisent les prêts pour obtenir des conditions favorables, des concessions et des commandes (notamment militaires) des pays débiteurs. Cela lie le capital financier à la diplomatie et à la puissance militaire, étendant la portée de l’oligarchie financière à l’échelle mondiale.
6. Les monopoles internationaux se partagent le monde économiquement.
…la division du monde est achevée, et les grands consommateurs, principalement les chemins de fer d’État — puisque le monde a été partagé sans tenir compte de leurs intérêts — peuvent désormais régner comme le poète dans le ciel de Jupiter.
Au-delà des frontières nationales. Les combinaisons monopolistes, ayant conquis leurs marchés nationaux, s’étendent inévitablement à l’international. Cela conduit à des accords entre puissants monopoles nationaux pour se partager le marché mondial.
Super-monopoles. Les cartels internationaux représentent un stade supérieur de concentration du capital. On peut citer :
- L’accord entre les trusts électriques allemands et américains pour se partager le marché mondial.
- La lutte puis l’accord entre le trust Standard Oil et les banques allemandes sur le marché pétrolier.
- Le cartel international du rail, qui répartissait les marchés étrangers entre fabricants de différents pays.
Trêves temporaires. Ces accords internationaux ne sont pas des signes de paix durable, mais des trêves provisoires dans la lutte incessante pour les profits et les parts de marché. Ils reposent sur l’équilibre actuel des forces entre monopoles participants et sont sujets à des changements et redistributions, souvent par des moyens non pacifiques.
7. Le monde est entièrement divisé territorialement entre les grandes puissances.
Pour la première fois, le monde est complètement partagé, de sorte que désormais seule la redistribution est possible, c’est-à-dire que les territoires ne peuvent passer que d’un « propriétaire » à un autre…
Partage final. La période allant des années 1880 au début du XXe siècle a vu une course intense aux colonies, aboutissant à la division complète du globe entre les grandes puissances capitalistes. Il ne restait plus de territoires « inoccupés » à conquérir.
Expansion inégale. Les possessions coloniales se sont considérablement accrues, notamment pour des pays comme la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne. Cette expansion est étroitement liée à la transition vers le capitalisme monopoliste et le capital financier.
Base des conflits. Cette division achevée signifie que toute expansion future ne peut se faire que par redistribution des territoires existants, en les arrachant à une puissance pour les attribuer à une autre. Ce besoin inhérent de redistribution, lié au développement inégal des puissances capitalistes, est une cause fondamentale des guerres impérialistes.
Au-delà des colonies. La division s’étend au-delà des colonies formelles pour inclure des pays « semi-coloniaux » (comme la Perse, la Chine, la Turquie) et des États financièrement dépendants (comme l’Argentine, le Portugal), pris dans les réseaux financiers et diplomatiques des grandes puissances.
8. L’impérialisme est le stade monopoliste du capitalisme.
L’impérialisme est le capitalisme à ce stade de son développement où la domination des monopoles et du capital financier s’est établie ; où l’exportation du capital a acquis une importance marquée ; où la division du monde entre les trusts internationaux a commencé ; où la division de tous les territoires du globe entre les plus grandes puissances capitalistes est achevée.
Caractéristiques définitoires. L’impérialisme n’est pas seulement une politique, mais un stade spécifique et supérieur du capitalisme, caractérisé par cinq traits économiques majeurs :
- La domination des monopoles dans la vie économique.
- La fusion du capital bancaire et industriel en capital financier, dirigé par une oligarchie financière.
- L’importance exceptionnelle de l’exportation du capital.
- La formation de combinaisons monopolistes internationales divisant le monde.
- L’achèvement de la division territoriale du monde par les grandes puissances.
Contexte historique. Ce stade apparaît vers le début du XXe siècle, marquant une transformation qualitative par rapport à l’étape antérieure de la libre concurrence. Bien que les frontières soient fluides, cette période marque un tournant net.
Au-delà de l’économie. Si cette définition insiste sur les aspects économiques, l’impérialisme possède aussi des traits politiques spécifiques, notamment une tendance à la violence, à la réaction et à l’oppression nationale accrue, découlant directement de la domination économique de l’oligarchie financière et de la lutte pour le contrôle mondial.
9. L’impérialisme engendre parasitisme et déclin dans les nations dominantes.
L’État rentier est un État de capitalisme parasitaire et en déclin…
Effet du monopole. Le monopole, tout en favorisant la concentration, introduit aussi une tendance à la stagnation et à la décadence. Avec des profits garantis élevés, l’incitation au progrès technique peut diminuer, et les monopoles peuvent même freiner délibérément l’innovation (comme l’exemple du brevet sur la machine à bouteilles).
Classe rentière. L’impérialisme implique l’accumulation d’énormes capitaux monétaires dans quelques pays, favorisant la croissance d’une classe rentière vivant des revenus des investissements étrangers (« encaissement de coupons »). Cette classe, détachée de la production, incarne le caractère parasitaire de l’État rentier.
Exploitation mondiale. Les pays exportateurs de capital deviennent des États usuriers, exploitant le travail des pays d’outre-mer et des colonies. Les revenus des investissements étrangers peuvent largement dépasser ceux du commerce extérieur, fournissant une base solide à ce parasitisme. Cela peut entraîner une baisse de la proportion de la population engagée dans le travail productif et une orientation vers des fonctions de service ou non productives.
10. L’impérialisme favorise l’opportunisme au sein de la classe ouvrière.
Le prolétariat anglais devient de plus en plus bourgeois, de sorte que cette nation la plus bourgeoise de toutes semble viser finalement à la possession d’une aristocratie bourgeoise, ainsi que d’un prolétariat bourgeois et d’une bourgeoisie.
Base économique de la corruption. Les superprofits énormes générés par les monopoles et l’exploitation des colonies offrent à la classe capitaliste des pays impérialistes la possibilité économique de corrompre les couches supérieures de la classe ouvrière. Cela crée une couche privilégiée, souvent appelée « aristocratie ouvrière ».
Agents de la bourgeoisie. Cette strate bourgeoïsée, à l’aise dans son mode de vie et sa vision du monde, devient le principal soutien social de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier. Elle agit comme les « lieutenants ouvriers de la classe capitaliste », promouvant le réformisme et le chauvinisme, et s’alignant sur la bourgeoisie en période de conflit de classes.
Précédent historique. Ce phénomène fut observé par Marx et Engels dans l’Angleterre du XIXe siècle, qui détenait un monopole colonial et commercial. Ils notèrent qu’une partie des ouvriers britanniques bénéficiait de cette exploitation et était dirigée par des hommes influencés par la bourgeoisie. L’impérialisme au tournant du siècle généralise cette tendance à plusieurs grandes puissances.
11. Les critiques bourgeoises de l’impérialisme sont superficielles et réformistes.
La réponse du prolétariat à la politique économique du capital financier, à l’impérialisme, ne peut être le libre-échange, mais le socialisme.
Ignorance des racines. Nombreux sont les critiques bourgeois qui, même en dénonçant le pouvoir des banques ou de l’oligarchie financière, ne saisissent pas le lien fondamental entre l’impérialisme et la base économique du capitalisme monopoliste. Ils opposent souvent l’impérialisme à des idéaux dépassés comme la libre concurrence ou la « démocratie pacifique ».
Vœux pieux. Leurs « réformes » proposées, telles que la surveillance policière des trusts ou les appels à la paix sous le capitalisme, apparaissent superficielles et inefficaces car elles ne remettent pas en cause la structure économique sous-jacente des monopoles et du capital financier. Ces critiques ne sont que des « vœux pieux » qui éludent les contradictions profondes.
Idéal réactionnaire. Prôner un retour à la libre concurrence ou compter sur de « simples facteurs économiques » à l’ère du capital financier est une position réactionnaire. Elle sert objectivement à masquer la véritable nature de l’impérialisme et à détourner la lutte révolutionnaire nécessaire contre le système capitaliste lui-même, désormais arrivé à ce stade monopoliste.
12. L’idée d’« ultra-impérialisme » est une fantaisie réactionnaire.
« Du point de vue purement économique, » écrit Kautsky, « il n’est pas impossible que le capitalisme traverse une nouvelle phase, celle de l’extension de la politique des cartels à la politique étrangère, la phase de l’ultra-impérialisme »,…
Concept trompeur. La théorie de « l’ultra-impérialisme », qui suggère une phase future d’union pacifique entre les capitaux financiers internationaux, est fondamentalement erronée. Si des cartels et alliances internationales existent, ce ne sont que des arrangements temporaires fondés sur l’équilibre actuel des forces, non une élimination permanente des conflits.
Négation des contradictions. Cette théorie ignore le développement inégal inhérent au capitalisme et les contradictions fondamentales entre capitaux financiers nationaux rivaux et leurs États. La lutte pour la redistribution du monde, fondée sur la force économique et militaire changeante, est inévitable sous le capitalisme.
Au service de la réaction. En présentant une perspective de paix durable sous le capitalisme, la théorie de l’ultra-impérialisme sert un but réactionnaire. Elle détourne la classe ouvrière des antagonismes aigus de l’époque impérialiste et promeut des illusions sur la réforme du capitalisme au lieu de la lutte pour son abolition. C’est une forme de pacifisme bourgeois déguisé en marxisme.
Dernière mise à jour:
Avis
L’impérialisme : stade suprême du capitalisme est unanimement reconnu comme une analyse prémonitoire et pénétrante de l’évolution du capitalisme vers un impérialisme monopolistique. Les lecteurs saluent la compréhension économique de Lénine ainsi que sa capacité à anticiper les développements mondiaux. Nombre d’entre eux estiment que cet ouvrage conserve toute sa pertinence aujourd’hui, soulignant des parallèles frappants avec les systèmes financiers contemporains et les dynamiques de pouvoir à l’échelle mondiale. Certains critiques reprochent toutefois à l’auteur d’utiliser des données parfois dépassées ou simplifiées. Ce livre est considéré comme une référence incontournable de la théorie marxiste, offrant un cadre d’analyse des contradictions du capitalisme et de ses tendances impérialistes. Plusieurs commentateurs insistent sur sa pertinence continue face aux enjeux géopolitiques et économiques actuels.