Points clés
1. Vision Fondatrice : Exploration Thérapeutique, Pas de Solutions Rapides
Le nom était parlant : l’accent serait mis sur le développement de l’identité de genre du jeune, non sur sa modification.
Orientation thérapeutique initiale. Le Gender Identity Development Service (GIDS), fondé en 1989 par le Dr Domenico Di Ceglie, était à l’origine conçu comme un petit service thérapeutique destiné aux enfants souffrant de troubles rares liés au genre. L’objectif était d’explorer l’identité du jeune et d’accompagner les familles, en gardant l’esprit ouvert quant à l’issue, qu’il s’agisse d’une transition sociale, médicale ou d’une réconciliation avec le sexe de naissance. Les premiers principes incluaient une acceptation sans jugement, l’amélioration des difficultés associées et la tolérance à l’incertitude.
Priorité au psychologique plutôt qu’au physique. Di Ceglie et ses collègues privilégiaient un service centré sur la santé mentale, mettant l’exploration psychologique avant toute intervention physique. Les médicaments, notamment les bloqueurs de puberté, étaient envisagés avec prudence et réservés aux adolescents plus âgés (environ 16 ans) après une thérapie approfondie, dans le but d’offrir un « temps de réflexion » avant toute étape irréversible. Cette approche reposait sur la compréhension que l’identité de genre pouvait être fluide durant l’enfance et l’adolescence, et que beaucoup d’enfants non conformes au genre deviendraient des adultes homosexuels.
Résistance interne précoce. Le transfert du service au Tavistock and Portman Trust en 1994 engendra des tensions, car son approche des interventions physiques s’opposait à la tradition psychanalytique du Trust, qui évitait généralement les traitements modifiant le corps pour des troubles mentaux. Certains collègues percevaient les questions d’identité de genre à travers le prisme d’autres présentations complexes observées à la Portman Clinic, où les patients exprimaient leur souffrance psychologique par leur corps, ce qui nourrissait un scepticisme envers les voies médicales. Malgré cela, le service persista, bien que marginalisé au sein du Trust.
2. Premiers Signaux d’Alerte Ignorés : Pressions et Manque de Données
Plusieurs membres du personnel de GIDU ont eu l’impression constante que le service subissait des pressions pour recommander plus fréquemment et plus rapidement la prescription de médicaments, et que l’indépendance du jugement professionnel était également mise à mal.
Première revue interne. Des inquiétudes concernant les pratiques de GIDS apparurent tôt, poussant le directeur médical du Trust, le Dr David Taylor, à mener une revue en 2005. Le personnel rapporta se sentir pressé de recommander des médicaments plus souvent et plus rapidement, parfois contre leur jugement clinique, sous l’influence des attentes des patients, des parents et de groupes externes. Taylor nota des désaccords fondamentaux entre cliniciens sur ce qu’ils traitaient et la meilleure approche à adopter.
Manque de preuves et de suivi. Le rapport de Taylor soulignait le caractère expérimental des bloqueurs de puberté pour la dysphorie de genre, les qualifiant de « relativement non testés et peu étudiés ». Il s’interrogeait sur leur réelle capacité à offrir un « temps de réflexion » et constatait que GIDS ne collectait pas de données permettant de répondre à cette question ni de suivre les résultats à long terme. Un audit interne antérieur (vers 2000) avait révélé des taux élevés de difficultés associées telles que traumatismes, abus et problèmes familiaux, mais ce fut le dernier audit complet du service.
Recommandations ignorées. Taylor préconisait de maintenir les bloqueurs de puberté tout en donnant la priorité à une thérapie à long terme, de soutenir les cliniciens refusant des orientations, de prendre sérieusement en compte les questions de consentement éclairé et de réaliser un suivi approfondi et prolongé de tous les patients. Il suggérait aussi d’intégrer GIDS aux autres services pour adolescents. Ces recommandations furent largement négligées, établissant un précédent où les préoccupations étaient soulevées sans être suivies d’effets, permettant au service de continuer sans collecte rigoureuse de données ni suivi des résultats.
3. Passage à la Médicalisation : Les Bloqueurs de Puberté comme Voie Principale
Sans les bloqueurs, le service n’existerait tout simplement pas.
Pression externe croissante. Dès le milieu des années 2000, la pression s’intensifia de la part des patients, des parents et d’associations comme Mermaids et GIRES pour abaisser l’âge d’accès aux bloqueurs de puberté. Ils citaient les pratiques d’autres pays, notamment des Pays-Bas, arguant que retarder le traitement causait de la détresse et augmentait le risque de suicide, qualifiant parfois les cliniciens prudents de « transphobes ». Cette pression créa un climat difficile pour le personnel de GIDS.
Les bloqueurs comme principal attrait. Certains membres du personnel estimaient que l’existence même du service dépendait de la proposition d’interventions physiques. Comme le rappelait un clinicien, Domenico Di Ceglie disait : « C’est parce que nous avons ce traitement ici que les gens viennent. » Si d’autres formes de soutien étaient précieuses, l’offre d’une voie médicale était perçue comme le moteur principal des orientations, créant une dynamique où le service se sentait obligé de fournir un accès aux médicaments pour conserver sa pertinence et son financement.
La « voie établie ». Au début des années 2010, surtout après la reconnaissance nationale en 2009, GIDS fonctionnait de plus en plus en se concentrant sur l’évaluation de l’éligibilité aux bloqueurs de puberté. Les cliniciens ressentaient la pression de traiter rapidement les demandes, et pour beaucoup d’adolescents, l’attente était claire : l’évaluation menait à une orientation vers les bloqueurs. Cette voie devint la « voie établie » par défaut, éclipsant parfois l’exploration thérapeutique qui était à l’origine du service.
4. Adoption Sans Critique du « Protocole Néerlandais » : Preuves Limitées, Conséquences Imprévues
À condition que le jeune remplisse les critères, il pouvait recevoir des bloqueurs à 12 ans, suivis d’hormones croisées à 16 ans, puis d’une chirurgie à 18 ans.
Approche pionnière néerlandaise. Le « protocole néerlandais », développé aux Pays-Bas, devint influent, proposant des bloqueurs dès 12 ans pour des adolescents soigneusement sélectionnés, souffrant d’une dysphorie de genre sévère et durable, psychologiquement stables et dans un environnement favorable. Les premières publications néerlandaises, bien que basées sur de petits échantillons et un suivi limité, rapportaient des résultats positifs, notamment une amélioration du bien-être psychologique et de meilleurs résultats chirurgicaux, ce qui contribua à diffuser ce modèle à l’international.
Étude britannique et déploiement. En 2011, GIDS et UCLH lancèrent une « Early Intervention Study » pour évaluer la suppression précoce de la puberté au Royaume-Uni, recrutant des jeunes de 12 à 15 ans. Malgré des préoccupations éthiques initiales liées à l’absence de groupe contrôle et au manque de données, l’étude se poursuivit. Crucialement, GIDS généralisa la suppression précoce de la puberté comme pratique standard en 2014, acceptant des enfants de moins de 12 ans (selon le stade pubertaire) avant même la publication ou l’évaluation des résultats de l’étude, s’appuyant sur des résultats précoces perçus positifs et la pratique internationale.
Risques et limites non reconnus. Les données initiales du protocole néerlandais laissaient entrevoir des risques, tels qu’une possible augmentation des « faux positifs » (jeunes transitionnant qui ne l’auraient peut-être pas fait autrement) et des effets à long terme inconnus sur la densité osseuse et la fertilité. Le protocole de l’étude GIDS mentionnait aussi des risques importants, notamment la possibilité que les bloqueurs « fixent les croyances transgenres » et affectent le développement cérébral. Cependant, ces risques, ainsi que les complications chirurgicales potentielles pour les garçons bloqués tôt, n’étaient pas toujours clairement ou systématiquement communiqués aux jeunes et à leurs familles, et le taux élevé de progression vers les hormones croisées observé dans les données néerlandaises (et plus tard celles de GIDS) n’était pas pleinement divulgué ni exploré.
5. Croissance Explosive & Patients Complexes : Service Débordé, Démographie Changeante
En quatre ans, le nombre d’enfants orientés était passé de 314 à 2 016.
Explosion des orientations. Après la reconnaissance nationale en 2009 et le déploiement de l’intervention précoce, GIDS connut une croissance exponentielle des demandes, dépassant largement les prévisions initiales. Les chiffres passèrent de moins de 100 en 2009/10 à plus de 2 000 en 2016/17, saturant la capacité du service et entraînant des listes d’attente interminables. Cette augmentation rapide signifiait moins de temps par patient et une pression immense sur le personnel.
Profil des patients en mutation. La démographie des jeunes orientés changea radicalement. Historiquement, la majorité étaient des garçons nés avec une dysphorie de genre débutant dans l’enfance. Dès 2015, les filles nées avec une détresse de genre souvent apparue à l’adolescence devinrent majoritaires, dépassant largement les garçons dans certaines tranches d’âge. Beaucoup présentaient des difficultés complexes associées :
- Taux élevés de troubles du spectre autistique (environ 35 %)
- Problèmes de santé mentale importants (dépression, anxiété, automutilation, troubles alimentaires)
- Antécédents de traumatismes, abus et familles chaotiques
- Forte proportion de jeunes en placement
Inadéquation avec le modèle de service. Cette nouvelle cohorte complexe ne correspondait pas au profil des jeunes « soigneusement sélectionnés » des études néerlandaises. GIDS maintint cependant largement son modèle centré sur l’évaluation, peu adapté à fournir le soutien thérapeutique approfondi nécessaire à ces cas complexes. La dépendance aux CAMHS locaux pour le soutien en santé mentale échouait souvent, en raison des coupes budgétaires et de la réticence des CAMHS à s’engager sur les questions liées au genre, laissant de nombreux besoins importants non pris en charge.
6. Alarmes Internes Croissantes : Sécurité, Éthique et Manque d’Exploration Ignorés
« Est-ce que nous faisons du mal aux enfants ? » demanda-t-elle, cherchant à être rassurée. C’est la question qui sous-tend tout ce qu’elle ressent. On ne lui répondit pas « non ».
Inquiétudes grandissantes des cliniciens. Avec l’augmentation des orientations et le changement du profil des patients, de nombreux cliniciens de GIDS, notamment ceux expérimentés en santé mentale infantile complexe, ressentirent une inquiétude croissante quant aux pratiques du service. Ils s’interrogeaient sur la rapidité des évaluations, la pression à orienter vers la médication, et la pertinence d’une voie médicale unique pour une population aussi diverse et complexe. Des questions surgissaient sur la médication d’enfants traumatisés, autistes ou internalisant une homophobie.
Manque d’espace pour la réflexion. Malgré la complexité, les cliniciens estimaient manquer de temps et d’espace pour une exploration psychologique approfondie. Les réunions d’équipe devenaient managériales, laissant peu de place à la discussion clinique ou à la réflexion sur les cas difficiles. L’attention se portait sur le traitement des chiffres et la gestion des listes d’attente, plutôt que sur une évaluation nuancée et un travail thérapeutique. Cela créait un sentiment de travail dans « l’inconnu » et de rôle de « gardiens » de la médication plutôt que de thérapeutes.
Préoccupations minimisées ou rejetées. Lorsque les cliniciens exprimaient leurs inquiétudes sur la sécurité, l’éthique et le manque d’exploration, ils avaient souvent le sentiment que leurs préoccupations n’étaient pas prises en compte par la direction de GIDS. Des discussions avaient lieu, mais rarement suivies de changements significatifs. La complexité du travail était reconnue, mais parfois utilisée pour justifier l’inaction, laissant le personnel inquiet frustré et inaudible, convaincu que le service n’apprenait pas ni ne s’adaptait aux défis rencontrés.
7. Culture du Silence et de la Répression : Cliniciens Sanctionnés pour Avoir Exprimé des Doutes
« Il y avait toujours des boucs émissaires, » explique Anna Hutchinson. « Il y avait toujours des personnes qui représentaient les inquiétudes du groupe, et elles étaient toujours chassées d’une manière ou d’une autre. »
Découragement à s’exprimer. Malgré des voies formelles pour soulever des préoccupations, beaucoup de membres du personnel de GIDS ressentaient une règle tacite interdisant de s’exprimer, surtout si cela remettait en cause l’approche centrale du service ou sa direction. Les cliniciens qui exprimaient des doutes sur la sécurité, l’éthique ou la rapidité des orientations subissaient parfois des pressions subtiles ou ouvertes pour se conformer. Cela créait un climat de peur, où le personnel craignait de parler librement sous peine d’être stigmatisé.
Étiquetage et marginalisation. Les cliniciens persévérant dans leurs questions difficiles étaient parfois qualifiés de « fauteurs de troubles » ou accusés de « transphobie ». Cette marginalisation se manifestait de diverses façons, de l’exclusion de projets intéressants à l’hostilité en réunion. Certains ressentaient que leurs préoccupations étaient interprétées comme des échecs personnels ou une incapacité à gérer le travail, plutôt que comme des observations professionnelles légitimes sur des problèmes systémiques.
Départs du personnel. L’environnement de travail difficile et le sentiment que les préoccupations étaient ignorées ou punies poussèrent de nombreux cliniciens expérimentés à quitter GIDS, souvent après un ou deux ans seulement. Certains ne se sentaient plus capables de travailler de manière cliniquement sûre ou éthique, d’autres étaient épuisés par la pression et le manque de soutien. Ce turnover élevé entraîna une perte de savoir institutionnel et d’enseignements, perpétuant les incohérences dans la pratique et freinant l’amélioration du service.
8. Absence de Données Cruciales : Résultats, Detransition et Comorbidités Non Suivis
GIDS ne pouvait pas dire combien de personnes avaient été orientées pour des bloqueurs de puberté entre 2011 et 2020, ni la répartition par âge de ces orientations.
Manque de statistiques de base. Malgré plus de 30 ans d’activité et des milliers de jeunes orientés vers des interventions médicales, GIDS collectait très peu de données systématiques sur ses patients et leurs résultats. Interrogé par la Haute Cour en 2020, GIDS ne put fournir de statistiques élémentaires sur :
- Le nombre de jeunes orientés vers les bloqueurs de puberté au fil des ans.
- La répartition par âge des jeunes orientés.
- Le nombre de patients diagnostiqués autistes.
- La proportion de ceux sous bloqueurs ayant progressé vers les hormones croisées (hors petite étude Early Intervention).
Échec du suivi des résultats. GIDS ne réalisait pas d’études de suivi systématiques et à long terme pour comprendre ce qu’il advient de ses patients après leur sortie, qu’ils aient transitionné, détransitionné, regretté ou subi des effets indésirables. Malgré la reconnaissance de l’importance de ces données et la planification d’une base pour recueillir des informations sur la détransition, ces efforts furent abandonnés, invoquant un « effort disproportionné ». Le service manquait ainsi de preuves cruciales sur l’impact à long terme de ses interventions.
Conséquences pour la pratique et le consentement. Ce manque de données signifiait que les cliniciens prenaient des décisions sur des traitements potentiellement déterminants sans comprendre clairement les résultats pour leur population spécifique. Cela compliquait aussi la délivrance d’un consentement véritablement éclairé, les effets à long terme et la probabilité de progression vers d’autres étapes médicales n’étant pas pleinement connus ni communiqués de manière cohérente. Ce déficit de base probante et de suivi fut un manquement majeur souligné par les revues externes.
9. Examen Externe Accablant : Rapports Dévoilent des Défaillances Systémiques
Il qualifia GIDS de « non adapté à sa mission ».
Constats sévères du rapport Bell. En 2018, le Dr David Bell, gouverneur du personnel, rédigea un rapport fondé sur les préoccupations de dix cliniciens de GIDS. Son rapport était très critique, décrivant l’absence d’un modèle clinique cohérent, une « attitude excessivement affirmative », une incapacité à résister aux pressions externes, un traitement rapide des orientations et des soins inadéquats pour des enfants vulnérables et complexes. Bell conclut que GIDS était « non adapté à sa mission » et avertit des risques pour les enfants et la réputation du Trust si les problèmes n’étaient pas traités.
Revue interne du Trust. Suite au rapport Bell, le directeur médical du Trust, le Dr Dinesh Sinha, mena une revue en 2019. Bien que le Trust ait publiquement affirmé ne pas avoir trouvé de défaillances en matière de sécurité, le rapport de Sinha reconnut plusieurs points soulevés par Bell, notamment des charges de travail excessives, la pression pour traiter rapidement les orientations, des pratiques variables, un manque d’uniformité dans les processus de consentement, et la connaissance des problèmes par la hiérarchie sans action. Cependant, les conclusions et la réponse publique du Trust furent perçues par de
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Avis
Time to Think explore la clinique de genre controversée de Tavistock pour enfants, retraçant son ascension puis sa chute. Les critiques saluent l’enquête approfondie de Barnes, son approche équilibrée et son récit captivant. Nombreux sont ceux qui jugent le livre bouleversant, révélant des défaillances systémiques dans la protection de l’enfance et l’éthique médicale. Certains reprochent toutefois un manque de voix transgenres. Les lecteurs le considèrent comme une lecture incontournable pour comprendre les enjeux complexes liés au traitement de la dysphorie de genre chez les mineurs, même si certains le trouvent répétitif. Dans l’ensemble, cet ouvrage est perçu comme une contribution majeure au débat actuel sur la prise en charge de la dysphorie de genre.