Points clés
1. Les vérités philosophiques dissimulent souvent des confessions personnelles
Peu à peu, il m’est apparu ce qu’a été jusqu’ici toute grande philosophie : la confession personnelle de son auteur et une sorte de mémoires involontaires et inaperçues ; de même que les intentions morales (ou immorales) de chaque philosophie constituent la graine vivante à partir de laquelle toute la plante a toujours poussé.
Les systèmes philosophiques comme révélations de soi. Nietzsche soutient que les systèmes philosophiques ne sont pas des vérités objectives, mais plutôt des confessions personnelles et des mémoires de leurs créateurs. Les intentions morales d’un philosophe sont la « graine vivante » d’où germe toute sa philosophie. Pour comprendre les affirmations métaphysiques d’un philosophe, il faut d’abord se demander : « À quelle morale cela (ou lui) s’adresse-t-il ? »
Les moteurs de la philosophie. Nietzsche rejette l’idée que la « pulsion de connaissance » soit le moteur principal de la philosophie. Il suggère plutôt que d’autres pulsions, comme la volonté de puissance, utilisent la connaissance comme un outil. En examinant les pulsions humaines fondamentales, on peut dévoiler les intentions et motivations cachées derrière les systèmes philosophiques.
Philosophes versus savants. Nietzsche distingue les philosophes des savants, notant que ces derniers peuvent avoir une véritable « pulsion de savoir », mais que leurs intérêts personnels se situent souvent ailleurs. En revanche, la morale d’un philosophe témoigne de manière décisive de qui il est et de la hiérarchie de ses pulsions les plus profondes.
2. La morale est un instrument de pouvoir, non une fin en soi
Toute pulsion tend à dominer : et, en tant que telle, elle tente de philosopher.
La morale comme jeu de pouvoir. Nietzsche considère la morale non pas comme une norme objective du bien et du mal, mais comme un outil utilisé par différentes pulsions et groupes pour affirmer leur domination. Chaque pulsion cherche à se présenter comme le but ultime de l’existence et le maître légitime de toutes les autres pulsions. Cette perspective remet en cause la vision traditionnelle de la morale comme quête désintéressée du bien.
La volonté de puissance. Nietzsche avance que la volonté de puissance est la pulsion fondamentale qui sous-tend tout comportement humain, y compris la morale. Toute pulsion tend à dominer, et, en tant que telle, elle tente de philosopher et d’imposer ses valeurs aux autres. Cette vision défie la conception classique de la morale comme recherche désintéressée du bien.
Le stoïcisme comme tyrannie de soi. Nietzsche critique l’impératif stoïcien de « vivre selon la nature », qu’il qualifie de fraude verbale. Vivre, soutient-il, c’est précisément vouloir être autre chose que la nature, qui est indifférente, injuste et limitée. Les stoïciens cherchent en réalité à imposer leur morale à la nature, exigeant qu’elle se conforme à leur propre image de l’existence.
3. La valeur de la vérité est une question dangereuse et incertaine
Supposons que nous voulions la vérité : pourquoi ne pas plutôt vouloir le mensonge ? Et l’incertitude ? Même l’ignorance ?
Remise en question de la volonté de vérité. Nietzsche conteste l’hypothèse philosophique traditionnelle selon laquelle la vérité serait intrinsèquement précieuse. Il s’interroge sur la raison pour laquelle nous devrions privilégier la vérité plutôt que le mensonge, l’incertitude, voire l’ignorance. Cette interrogation sur la valeur de la vérité est un thème central de sa pensée.
La vérité comme condition de la vie. Nietzsche suggère que le mensonge pourrait être une condition de la vie, arguant que les jugements les plus faux sont souvent les plus indispensables. Sans fictions logiques et falsifications constantes du monde, l’humanité ne pourrait pas vivre. Cette perspective remet en cause les émotions de valeur habituelles et place la philosophie de Nietzsche au-delà du bien et du mal.
Apparence versus vérité. Nietzsche questionne l’opposition essentielle entre « vrai » et « faux », suggérant qu’il suffirait d’admettre des degrés d’apparence et différentes nuances d’apparence. Il envisage même la possibilité que le monde qui nous concerne soit une fiction, défiant ainsi la foi philosophique traditionnelle dans la grammaire et le sujet.
4. Les morales du maître et de l’esclave définissent l’histoire humaine
En vérité, les choses sont tout autres : en prétendant joyeusement lire le canon de votre loi dans la nature, vous voulez en réalité le contraire, vous, acteurs étranges et menteurs à vous-mêmes !
Deux morales fondamentales. Nietzsche identifie deux types fondamentaux de morale : la morale du maître et la morale de l’esclave. La morale du maître naît d’un type dominant qui affirme ses propres valeurs et se considère comme « bon » en opposition aux qualités « mauvaises » des dominés. La morale de l’esclave, quant à elle, provient des opprimés et valorise la compassion, l’humilité et le renoncement.
Réévaluation des valeurs. La révolte des esclaves en morale commence lorsque le ressentiment devient créatif et engendre des valeurs. La morale de l’esclave dit Non à un « extérieur », à un « autre », à un « non-soi », et ce Non est son acte créateur. Cette réévaluation des valeurs est une caractéristique essentielle de la morale de l’esclave.
Le noble versus le rancunier. L’être noble se sent déterminant de valeurs et n’a pas besoin d’approbation. En revanche, l’être de ressentiment n’est ni droit ni naïf, et son âme louche. Cette différence fondamentale de perspective façonne leurs évaluations morales respectives.
5. L’idéal ascétique : une force niant la vie déguisée en vertu
Sacrifier Dieu pour le néant — ce paradoxe mystérieux de la cruauté ultime était réservé à la génération qui émerge maintenant : nous en savons déjà quelque chose.
L’ascétisme comme volonté de néant. Nietzsche identifie l’idéal ascétique comme une volonté de néant, une contre-volonté à la vie qui rejette les présupposés les plus fondamentaux de l’existence. Cet idéal, caractérisé par une haine de l’humain, de l’animal et du matériel, cherche à nier les sens, la raison et la volonté elle-même.
Le prêtre ascétique. Le prêtre ascétique est le changeur de direction du ressentiment, exploitant les mauvais instincts de tous les souffrants pour les discipliner et les faire se dépasser. Ce prêtre, souvent lui-même malade, utilise la religion pour répandre un soleil sur des êtres éternellement tourmentés et les rendre supportables à leurs propres yeux.
L’échelle de la cruauté religieuse. Nietzsche décrit une grande échelle de cruauté religieuse, commençant par le sacrifice des êtres humains à leur dieu, puis le sacrifice des instincts les plus forts, et enfin le sacrifice de Dieu lui-même pour le néant. Ce paradoxe mystérieux de la cruauté ultime est réservé à la génération qui émerge aujourd’hui.
6. La mauvaise conscience : l’invention la plus cruelle de l’humanité
Rendre l’humanité à la nature ; maîtriser les nombreuses interprétations vaines et débordantes qui ont jusqu’ici été griffonnées et peintes sur ce texte fondamental éternel qu’est homo natura.
L’intériorisation des instincts. La mauvaise conscience naît de l’intériorisation des instincts qui ne peuvent plus s’exprimer à l’extérieur. Ce processus, motivé par le besoin de l’État de dompter et contrôler ses citoyens, retourne l’être humain contre lui-même.
La culpabilité devant Dieu. Le sentiment de culpabilité devant Dieu devient un instrument de torture, l’être humain s’imaginant puni sans possibilité d’expiation. Cela conduit à un paradoxe mystérieux de cruauté ultime, où Dieu se sacrifie lui-même pour la culpabilité de l’humanité.
L’innocence du devenir. Nietzsche rejette la notion de « volonté non libre », qu’il considère comme un abus de cause à effet. Il soutient que cause et effet ne doivent être utilisés que comme concepts purs, non comme entités réifiées. Dans le « en-soi », il n’y a rien de « connexions causales », de « nécessité » ou de « non-liberté psychologique ».
7. Au-delà du bien et du mal : appel à de nouvelles valeurs et à une nouvelle noblesse
L’influence sélective et cultivatrice que l’on peut exercer grâce aux religions, qui est toujours autant destructrice que créatrice et formatrice, varie selon le type de personnes placées sous son emprise et sa protection.
Le philosophe comme cultivateur. Nietzsche imagine le philosophe comme celui qui utilise la religion pour des œuvres de culture et d’éducation, tout comme il exploite les conditions politiques et économiques respectives. Ce philosophe exercera une influence sélective et cultivatrice, toujours aussi destructrice que créatrice et formatrice.
L’esprit libre. Les philosophes du futur seront des esprits libres, très libres, mais ils ne seront pas de simples esprits libres. Ils seront quelque chose de plus, de supérieur, de plus grand et fondamentalement différent. Ces philosophes seront chez eux dans de nombreux pays de l’esprit, fuyant à jamais les recoins poussiéreux et confortables où ils semblent avoir été relégués.
La nouvelle noblesse. Nietzsche appelle à une nouvelle espèce de philosophes, des tentateurs, ceux qui remettent en question toutes les valeurs et défient le statu quo. Ces philosophes seront des esprits libres, non dogmatiques, qui ne cherchent pas à imposer leurs vérités aux autres et qui sont prêts à embrasser le dangereux Peut-être.
Dernière mise à jour:
Avis
Par-delà le bien et le mal et La généalogie de la morale suscitent des avis partagés. Nombreux sont ceux qui saluent la profondeur de la pensée de Nietzsche ainsi que son style littéraire, particulièrement en allemand. Les lecteurs apprécient sa critique incisive de la religion, de la morale et de la philosophie. Toutefois, certains jugent l’ouvrage ardu, dense, et parfois déroutant. Les critiques soulignent également des points de vue datés, notamment en ce qui concerne les femmes et les questions raciales. Le style aphoristique et le langage poétique du livre sont à la fois admirés et contestés. Dans l’ensemble, on reconnaît l’importance de cette œuvre dans la philosophie occidentale, même si l’on peut ne pas partager toutes ses idées.